Le don… pour des rencontres qui durent

« Le bonheur est la seule chose qui se double si on le partage. »

Albert Schweitzer.

Être heureux, c’est bien. À bien considérer, c’est même la meilleure chose que l’on puisse faire pour soi, son entourage, et la société tout entière. Les gens heureux vivent en meilleure santé. Même dans la vie professionelle, une entreprise a tout intérêt à ce que ses collaborateurs le soient : « Un travailleur (f/h) heureux est 2 fois moins malade, 6 fois moins absent, 9 fois plus loyal, 31 % plus productifs, 55 % plus créatif. “ 

Le bonheur bénéficie également à nos proches, aussi bien à notre famille directe qu’à nos amis. Les relations sont apaisées. Le bonheur diminue le stress, par voie de conséquence, … ou de cause, l’attention que l’on peut alors porter à ceux qui nous entourent est plus intense, sincère. Et bénéfique. Le bonheur pose les conditions qui permettent de se forger des remparts à l’empathie négative : éviter la colère, la critique, le jugement… toutes ces réactions qui nuisent aux relations et nous éloignent des autres.

Comment créer un cercle vertueux qui diminue les tensions entre les individus, crée des liens forts et les conditions d’une confiance mutuelle, sur lequel chacun peut se construire et avancer ? Et cerise sur le gâteau, créer les conditions de rencontres qui durent ?

Une réponse en trois lettres : le… don.

La mécanique du don, et l’importance qu’il revêt dans les sociétés humaines, n’a été décrite et analysée que relativement récemment. Elle date de “L’essai sur le don” de Marcel Mauss en 1925. En 1950, Claude Lévy-Strauss révèle que toute la mouvance structuraliste ou post-structuraliste “trouve son origine dans la lecture de l’Essai sur le don”. La résonance de ce texte perdure encore aujourd’hui parmi les chercheurs et universitaires en sociologie, en anthropologie, mais encore si peu auprès du grand public. 

La mécanique du don est loin d’être assimilée et exprimée dans nos cultures. Même si nous profitons de ses bienfaits au quotidien, nous subissons les conséquences malheureuses lorsque la mécanique n’est pas respectée.

La mécanique du don.

Le don est une danse à 4 temps. Les principes en sont simples : Demander – Donner – Recevoir – Rendre. Chacune de ces étapes, si elle est mal réalisée, rompt le cercle vertueux promis.

Pour illustrer le processus, Jean-Edouard Grésy et Alain Caillé, dans “La révolution du don”, décrivent un match de football entre une équipe professionnelle et amateure. D’un côté, des joueurs expérimentés et très techniques, de l’autre, une équipe soudée… par le don.

Que se passe-t-il ?

Sur le papier, l’équipe professionnelle devait gagner.

À  gauche du terrain, on tente les exploits personnels, on ne passe pas la balle au joueur bien placé, les consignes de l’entraîneur ne sont pas respectées.

En face, l’attaquant fait des appels de balle qui sont entendus. Alors bien sûr, il se donne à fond pour transformer la passe. Lorsque l’équipe subit une attaque, les avants ne comptent pas leurs efforts pour remonter et aider les défenseurs. À  force, l’équipe attrape des automatismes, une confiance telle, que la faute individuelle ne peut plus être reprochée. 

Du côté de la petite équipe, la mécanique du don est appliquée : plus personne ne sait de qui il est redevable, et cela n’a plus d’importance, car des liens forts et une confiance inébranlable habite l’équipe. 

Mais face à ce bloc humain, rien n’est moins sûr.

Inutile de dire que quelle que soit l’issue du match, l’équipe amateur aura passé un moment de bonheur, aussi bien sportif qu’humain.

Pour beaucoup, donner sans contrepartie est suspect, parfois même pour les deux parties. “Trop bon, trop con”. Lorsque l’on s’est fait avoir une fois, on n’est plus enclin à donner sans savoir ce qu’il va advenir.

Il s’agit alors de connaître le mécanisme du don, le suivre, pour profiter de toute sa puissance, pour se faire de nouvelles relations ou fortifier les anciennes.

1. Demander… avec les formes

Demander n’est pas exiger. L’autre doit pouvoir refuser et garder toute la spontanéité du donateur. Donner sous la contrainte n’est pas un don. La mécanique est immédiatement rompue, dès le premier mouvement.

La majorité des demandes sont implicites : les coutumes suggèrent la remise de cadeaux pour Noël, un anniversaire, une fête de départ à la retraite…. 

On demande sans s’en rendre compte. La réciprocité semble naturelle. Par exemple, dans le jeu des invitations à dîner, on s’attend à être réinvité. Ne jamais l’être crée un précédent qui va nuire à la bonne relation des personnes. La demande implicite est alors un “rendre” qui n’est pas très clair.

Croire qu’une demande non formulée est évidente pour l’autre, et donc attendre plutôt que demander, est bien souvent la principale erreur commise pour initier le don. Cela arrive lorsque les personnes se connaissent mal ou interprètent des signes de manière erronée.

Ceux qui savent donner, mais peu enclins à demander, ont tendance à se sentir frustrés et exploités. Même lorsque l’on se connaît bien, on n’est jamais dans la tête de l’autre. Et par exemple si je considère avoir un comportement méritoire (pour une promotion par exemple), rien ne dit que cette idée sera partagée par l’autre partie. 

Alors, pour entamer une discussion avec un inconnu, demander quelque chose avec le sourire. Cela peut seulement être de l’aide pour porter une valise, un mouchoir… Le premier pas sera fait. Seulement le premier pas.

2. Donner, “comme il faut” 

Celui qui répond à une sollicitation et donne, peut avoir la crainte “de se faire avoir” : celui qui voit ma bonté pourrait en profiter.

Pour cela, il faut donc que la demande soit légitime et proportionnée. Le donateur pourra alors y répondre en respectant ces trois règles :

  • Donner sans retenir :
    Si l’on donne sans donner l’impression d’en avoir envie, presque en disant, “tu me le rendras quand tu auras fini”, le don n’aura pas toute sa valeur. Peut-être va-t-il  être perçu comme un prêt alors qu’il n’en était pas question dans la requête, ou peut-être que la personne qui va recevoir se sentira déconsidérée. Les liens ne pourront alors pas se tisser entre les deux “partenaires.
  • Donner sans condition, comme gage de confiance :
    L’un des principaux bénéfices du don est la relation de confiance qu’il initie entre deux individus. Si la personne qui donne montre des signes de méfiance, même involontaires, alors l’acte, a contrario, sera perçu comme une défiance.
  • Ne pas écraser la personne qui reçoit par un don disproportionné :
    Inversement, si le don est disproportionné, comme par exemple, le don d’une voiture alors que la personne n’avait sollicité qu’un prêt, la personne qui recevra se sentira… très mal à l’aise : Elle se sentira dans une position d’infériorité et surtout, elle se retrouvera dans l’incapacité de rendre.
    Qu’on le veuille ou non, lorsque l’on reçoit, on se sent redevable. C’est d’ailleurs une technique de vente très répandue. On vous offre un cadeau avant même de vous montrer le produit ou que vous manifestiez le moindre intérêt à l’offre du vendeur. Dans ce cas, le don n’est pas très sain et s’apparente à de la manipulation.

Dans le cadre d’une rencontre, ne pas avoir peur de répondre à la demande, si elle est bien sûr proportionnée à la situation.

3. Recevoir avec gratitude

Ce moment ne semble pas le plus compliqué. Et pourtant il est le liant et le chaînon indispensable à tout le cycle.

C’est l’acte de reconnaissance. Il ne finalise pas le don. Pour que le processus entre dans une boucle infinie, il faudra passer par le “rendre”. En revanche, il est primordial pour que la personne qui reçoit montre qu’il a bien conscience de la valeur du don et que bien sûr il l’accepte.

Souvenez-vous de l’enfant qui montre sa déception en ouvrant un cadeau en disant, je l’ai déjà… Mauss souligne que refuser un don, c’est refuser d’être en dette, tout autant que manifester sa perception de la faible valeur.

Apprécier la valeur de l’objet du don fait également partie du processus qui établit un lien :  se mettre à la place de l’autre, c’est précisément l’acte d’empathie qui rapproche les individus.

“Ne pas savoir recevoir, c’est profiter.”

Ne pas célébrer le don, ni montrer sa reconnaissance est interprété comme de l’exploitation. C’est précisément ce que la personne qui donnait redoutait. 

La première chose que l’on apprend quand on est enfant, c’est à dire merci. Inconsciemment, nous le savons, et pourtant… Qui n’a jamais négligé de montrer sa reconnaissance à la réception d’un cadeau, voire a montré sa déception ?

Pour que la rencontre se prolonge, remercier et montrer sa gratitude.

 4. Rendre, avec plaisir.

En recevant, nous avons accepté la dette. Charge à nous de rendre, et si possible avec éclat, pour montrer le bien-fondé de l’ensemble du processus.

Bien rendre légitime les trois premières étapes : la demande, le don, la réception. 

C’est aussi l’étape qui relance un nouveau processus. Le donateur et demandeur se sentent légitimes à échanger les rôles, voire le feront avec plaisir.

En conséquence, si la personne redevable ne se permet pas de rendre, elle se coupe de toute possibilité de refaire une autre demande. La chaîne est brisée.

Rendre avec éclat consolide la confiance entre les individus, car l’objet du don pourra avoir des valeurs de plus en plus importantes. 

Enfin, au fil du temps, plus personne ne saura qui est redevable de qui ou de quoi. Demander devient aussi naturel pour soi que pour l’autre.

Pour consolider la rencontre, créer la possibilité de rendre.

Une relation durable

La confiance est un élément tellement confortable et essentiel, pour se construire, et aider les autres à se construire, que l’on se demande pourquoi le don est si peu décrit et correctement appliqué. Certes les mythes et nos histoires en sont remplis, mais jamais les 4 moments du don ne sont nommés.

Peut-être parce que les déconvenues et les frustrations ont rendu suspect le don. Peut-être aussi à cause de la notion chrétienne de charité, qui place le don au coeur de la foi, dans un processus incomplet, car la charité est la transposition du don divin, qui ne peut être qu’inconditionnel, absolu, désintéressé et… à sens unique.

J’ai relu le fameux livre de Dale Carnegie : “Comment se faire des amis”, écrit dans les années 30.  À la lumière de la mécanique du don, chacun de ses conseils, et méthodes se trouvent être une déclinaison du don ou l’un des moments du don.

Alors, pour se faire des amis : initier la mécanique du don. 

Le don propose une relation de confiance, crée des liens qui permettent des échanges profonds entre les hommes. Et peut-être même au-delà, avec le vivant, en général.

Plus largement, je pense au comportement de l’homme avec son environnement. Que rend l’homme en échange de tous ses prélèvements ? Comment remercie-t-il ? Ça n’a sans doute rien à voir. C’est juste un parallèle. Et pourtant. La planète semble montrer quelques signes de lassitude vis-à-vis de notre comportement. Peut-être devrions-nous reconsidérer notre comportement à travers le prisme du don.

En tout cas, pour se faire des amis, proposons notre aide, offrons un verre, quelques minutes de notre temps… et observons ce qu’il se passe. 

Nous pourrions être surpris de rencontrer et d’apprécier des personnes que rien ne prédestine.

Cet article participe à l’événement “Les astuces pour faire des rencontres” du site Réussir-socialement.fr de Guillaume. J’aime beaucoup son blog, car il traite des relations humaines en général. Je vous invite d’ailleurs à lire son article La critique, le meilleur moyen pour se faire des ennemis !. Cet article illustre un moment rompu du cycle du don.

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6 réflexions au sujet de “Le don… pour des rencontres qui durent”

  1. C’est fou, quand je pense à « rencontre » je ne me représente pas l’aspect long terme… Peut être donc trop terre à terre. Il est super intéressant de te lire et d’apercevoir la spiritualité que tu dégage de ton écriture. Merci Geoffrey pour cet article 🙂
    Moi même je suis convaincu qu’il faut toujours donner, le maximum, tout le temps. Peu importe ce que l’on a en retour. Il n’y a qu’en donnant que l’on avance. « Tous ceux qui viennent pour prendre ne vont pas loin. Tous ceux qui donnent n’ont pas de frontières » dit un penseur que j’apprécie.
    Ton article en est un peu une représentation : )

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  2. Super article !
    Je pense que ce que tu exposes montre que beaucoup de gens sont malheureux, car ils donnent dans l’attente de recevoir. Ils sont frustrés, et n’osent pas demander en retour. Ce manque de communication et de lâcher-prise fait que beaucoup de gens entretiennent des relations avec des non-dits et de la colère.
    J’ai beaucoup aimé l’exemple de l’équipe de foot eheh !

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  3. J’adore ton approche, et encore plus ta conclusion !
    Cette mécanique du don semble trop souvent oublié effectivement. C’est ainsi que beaucoup devient malheureux car ils construisent une mécanique uniquement basée sur l’attente, mais cette dernière n’est implicite que pour eux.
    Je ne connaissais pas jusqu’à la lecture de ton article une explication clair comme celle-ci de ce phénomène.
    Je n’avais jamais su trouver les mots pour le décrire, cela dit j’ai l’impression que l’un des meilleures moyens de se rendre compte de cette dernière, est le voyage.
    C’est ce qui m’a permit personnellement de me rendre compte de l’importance du don.

    Et surtout merci pour ta conclusion, je suis tellement d’accord avec toi. A trop prendre à l’environnement qui nous entoure, ne sommes nous pas dans une mécanique du don unilatérale ? La réponse semble clair, et le nature semble nous avertir qu’il faut que cela cesse, que ce soit par une hausse accélérée du réchauffement climatique, l’augmentation des catastrophes naturelles ces dernières années, ou bien encore par le pandémie d’un virus. Il y a là un message, mais qui veut le lire ?
    Nous n’en faisons rien, la société progresse mais trop lentement par rapport à l’ampleur du message de la nature. A bien regarder le présent, l’avenir ne revêt pas vraiment le gout de l’espoir…
    En espérant que le confinement fasse cogiter certains la dessus, puisque c’est aujourd’hui que commence demain !
    Merci pour ton article 🙂

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